• Hommage à Jean Leymarie

    Jean Leymarie a quitté ce monde le 9 mars 2006

    Portrait de Jean Leymarie par Frank Horvat qui nous a permis de l'utiliser pour ce site.
    Merci

    Ce site est ouvert pour permettre à ses amis proches ou lointains de lui dire au revoir en laissant un message sur le livre d'or




  • Alexandra de Léal, que j'ai eu la faveur de rencontrer grâce à Jean, me prie d'insérer ce texte :

    Glorieux ancien de l’E.P.S. (École primaire supérieure, aujourd’hui lycée) de Saint-Céré, Jean LEYMARIE fit partie de cette équipe de passionnés d’art qui aidèrent à la sauvegarde des trésors du Louvre, à Montal, durant la dernière guerre∗. Sa rencontre avec René HUYGHE, alors conservateur du Louvre, a été déterminante dans le choix de sa carrière qui fut brillante comme vous pourrez le découvrir à la lecture de cet article. Celui-ci reprend pour l’essentiel un texte rédigé par Robert LARUE, à l’occasion de son décès, pour le bulletin municipal de Gagnac (‘‘Le petit Gagnacois’’, n° 21, juin 2006). Il a été repris, complété et enrichi en plein accord avec son auteur initial, par Cécile FONTANILLE, petite-nièce de notre brillant aîné.

    FIGURE DE NOTRE TERROIR : JEAN LEYMARIE

    Jean LEYMARIE est décédé à Paris le 9 mars 2006, à l’âge de 86 ans. Il a été inhumé le 13 mars à Gagnac. A l’église, M. l’Abbé ROUGIER, puis, au nom de sa famille, sa petite-nièce Cécile FONTANILLE, ont évoqué avec émotion son souvenir. Au cimetière, Christine DUCOUX, habitante de La Teulière et familière du monde de la culture, a pris la parole à la demande de Madame TERROU, alors maire de Gagnac, pour lui rendre hommage au nom de la commune. Dans la semaine qui a suivi, plusieurs manifestations ont été organisées en son honneur à Paris : une grand-messe à Notre-Dame, une cérémonie au Musée Georges Pompidou… Des émissions de radio, les journaux nationaux (Le Monde, Libération…) ont célébré la mémoire de cet éminent connaisseur de la peinture et ami des plus grands peintres, auteur de nombreux ouvrages d’histoire de l’art.

    "Jean Lucien Xavier" LEYMARIE était né à Gagnac le 17 juillet 1919, plus précisément à Felzines (hameau situé entre Gagnac et Glanes), dans la maison de ses grands-parents maternels. Sa mère, Aurélie BOUYSSOU, et son père Armand LEYMARIE, originaire de Lavaur-Haute, s’y étaient d’abord installés. Alors que, plus tard, ils étaient partis à Paris pour améliorer le niveau de vie de la famille, le jeune Jean Lucien, qui était resté au pays, chez ses grandsparents, partageait son temps, comme beaucoup d’enfants de son âge, entre les travaux de la ferme et l’école de Gagnac, où il se distinguait.

    Après un an d’Ecole Primaire Supérieure à Saint-Céré (en 1931-32), il était envoyé au Lycée de Cahors, sur recommandation d’un inspecteur qui l’avait remarqué. Ce fut là aussi un élève brillant, présenté en 1937 au Concours général à la fois en Grec et en Histoire-Géographie.

    La correspondance adressée à ses parents depuis le lycée de Cahors puis, plus tard, de son régiment en Afrique du Nord, traduit le profond respect qu’il garde pour eux. Un écart vertigineux commence à se créer entre les élèves qu’il fréquente, la préparation du prestigieux Concours général et la rude vie des siens restés à Felzines. Il n’est pas une lettre où il n’évoque la rigueur des saisons, l’avancée des récoltes, la bonne santé du cochon… toutes ces petites choses qu’il sait être le quotidien de ses parents. Plus tard, il évoquera la rudesse de cette enfance, l’absence de toute gaîté à la maison mais il aura toujours l’intelligence du coeur de ne pas renier ses origines.

    En 1940, c’était la guerre, le Service militaire qu’il accomplissait en partie en Algérie et au Maroc, puis, de retour "au pays", en même temps la préparation d’une licence de Lettres (sans pouvoir suivre de cours) et… la Résistance. C’est là que se nouait son avenir. La plupart des trésors du musée du Louvre (dont La Joconde…) avaient été mis en sécurité à Vayrac, Bétaille et aux châteaux de La Treyne et Montal. Là se trouvait René HUYGHE, Conservateur du Louvre.
    Alors que celui-ci venait acheter une cuisinière chez son frère Fernand, électricien à Bretenoux, Jean LEYMARIE lui offrit de participer à la garde de ces oeuvres d’art. Proposition acceptée ! Voilà notre petit paysan gagnacois, lui qui n’avait jamais visité le Louvre, engagé comme "gardien", ou plutôt comme "intellectuel chômeur". Il était donc venu habiter Saint-Jean-Lespinasse, logeant dans la maison "de la Tour", dans une chambre mise à disposition par la famille LACAZE.

    Par la même occasion, il était le professeur de grec de la fille d’André CHAMSON, Conservateur du musée de Versailles installé, lui, à La Treyne. Devenue l’écrivain Frédérique HÉBRARD, elle évoque avec humour, dans son roman autobiographique « La chambre de Goethe », son premier contact avec ce jeune homme « méritant, résistant, savant et jeune marié ». Jeune marié : il épousait en effet, le 15 juin 1944, Marie-Paule GANGNET, avec qui il aura deux filles, Isabelle et Anne.

    Paris étant libéré, Jean LEYMARIE raccompagne les trésors qu’il avait contribué à sauver, au Louvre où il est nommé assistant.
    Les responsabilités ne tardent pas à lui échoir, en même temps que la possibilité de montrer toutes ses qualités. On lui confie en 1950 (à 31 ans) la direction du musée de Grenoble, où il reste jusqu’en 1955. La lycéenne grenobloise d’alors et future historienne Marguerite GUÉLY, est enthousiasmée par ce « jeune et dynamique conservateur du musée » qui « a su donner à beaucoup un goût décidé pour l’histoire de l’art et pour la visite intelligente de notre patrimoine ».

    Il se voue ensuite, durant une longue période, à l’enseignement, comme professeur d’histoire de l’art aux Universités de Lausanne et de Genève, tout en publiant les premiers d’une longue série d’ouvrages qu’il consacrera à des écoles de peinture (les impressionnistes, la peinture hollandaise, le fauvisme…), à des peintres (MONET, MANET, GAUGUIN, VAN GOGH, PICASSO, etc.), ou encore à la couturière CHANEL. Il organise la première grande exposition sur PICASSO (avec qui il est intime au point d’être le parrain de l’une de ses filles), au Petit-Palais, en 1966. Mais il revient en 1969 à sa première vocation. Appelé à diriger le Musée national d’art moderne de Paris, au Palais de Tokyo, il prépare son transfert au Centre Pompidou alors en projet. A l’ouverture de celui-ci, il est nommé directeur des études à l’Ecole du Louvre… qu’il avait fréquentée un an étant jeune, sans trop en goûter l’enseignement ! En même temps, il organise de nombreuses expositions pour faire connaître des artistes de la première moitié du XXe siècle.

    Enfin, en 1978, il est nommé directeur de l’Académie de France à Rome, institution exceptionnelle fondée par COLBERT en 1666, installée en 1803 dans la célèbre "Villa Médicis". Les plus grands artistes, peintres, musiciens, sculpteurs, y ont séjourné pour s’y perfectionner dans leur art. A sa tête, Jean LEYMARIE succède au peintre BALTHUS, avec lequel il conserve des liens très étroits et auquel il consacre un bel ouvrage (Ed. SKIRA). Il y reste jusqu’à sa retraite, en 1984. Mais il continue bien au-delà à oeuvrer pour faire partager sa vision amicale et sensible de la peinture, en rapport suivi avec des artistes qui, disait-il, lui ont appris à voir.
    Au milieu de cette activité foisonnante, faite de rencontres, de voyages, de la rédaction d’ouvrages, pénible pour lui qui écrit pourtant si bien, il reste attaché à ses racines et, plus tard, au comble de la notoriété, il ne manquait jamais d’adresser un exemplaire dédicacé de chacun de ses ouvrages à ses proches des familles restés "au pays".
    « Les vrais critiques d’art sont eux aussi des poètes, les autres ont la mémoire encombrée de références historiques ». Comment ne pas penser à Jean LEYMARIE lorsqu’on lit cette parole de Jean Pierre VELLY, artiste qui fut pensionnaire de La Villa Médicis au temps de BALTHUS…

    Le destin de Jean LEYMARIE est véritablement extraordinaire, celui d’un "petit paysan" comme il aimait se présenter, devenu l’un des plus importants critiques d’art et directeur de musées de sa génération. Quelle bonne fée s’était-elle penchée sur son berceau pour que son destin bascule des terres de Felzines aux ateliers des plus grands artistes du XXe siècle ? La poésie devait l’habiter depuis son enfance et c’est sans doute ce "don" qui lui a ouvert toutes les portes. Presque autodidacte puisqu’à cause de la Guerre il avait fait des études "en pointillé", Jean LEYMARIE avait acquis dans la lecture puis la fréquentation des musées, une culture artistique immense doublée d’une mémoire gardée intacte jusqu’à ses vieux jours notamment pour la poésie et les grands textes de la littérature qu’il pouvait réciter sans hésitation !
    C’était un intellectuel "poète", qui devait sa compréhension de l’art à GIACOMETTI dont il fréquentait l’atelier en toute simplicité ... « Giacometti m’a appris à voir » disait-il, et il en était ainsi avec CHAGALL, PICASSO, MASSON, BRAQUE, BALTHUS ou Zao WOU-KI, tous ces immenses artistes dont il n’aimait pas se dire l’"ami", mot trop souvent galvaudé mais avec lesquels il a partagé le plus fort, la création de l’oeuvre puis sa diffusion auprès du public. Ainsi, Jean LEYMARIE, grâce à la confiance accordée par tous, a pu concevoir de grandes expositions mettant en valeur les grands maîtres comme ses contemporains. Il fut aussi l’auteur d’une centaine d’ouvrages de référence sur la peinture à travers les siècles, de monographies consacrées à des artistes divers depuis COROT jusqu’à Coco CHANEL ou Henri CARTIER-BRESSON.
    L’amitié qu’il portait aux artistes le faisait voyager aux quatre coins du monde et il ne refusait jamais de préfacer un catalogue s’il appréciait un jeune encore méconnu. La notoriété ne comptait pour rien si l’art n’était pas là !
    Lui-même détestait les relations faciles et mercantiles. Il avait eu la chance de connaître le visage le plus noble de l’art et s’y était arrêté. Il ne courrait pas après les honneurs mais était conscient des immenses chances de rencontres permises par sa carrière. Il était très fier de sa nomination à la Villa Médicis car il succédait à BALTHUS qui avait révolutionné l’esprit de cette vieille institution et il s’employa à perpétuer la magie de ce lieu.
    Sa retraite fut très active et alors que sa famille aurait aimé le recevoir plus souvent dans le Lot il resta à Paris, près de Notre Dame, où il ne cessa de conseiller et d’écrire. Nul ne lui en voulait car tous savaient que sa vie était vouée à l’art et qu’au fond de lui sa terre natale restait "la plus belle".

    Adhérent depuis sa création de l’association Le CEP (Association "CULTURE ET PATRIMOINE", Mairie, 46130 - Gagnac.), il versait régulièrement sa cotisation, accompagnée d’une petite missive de son écriture fine et élégante. Fidèle lecteur du‘’Petit Gagnacois’’, bulletin municipal de sa commune d’origine, il avait été particulièrement ému par l’article de J. BIEYSSE sur Felzines, publié dans son numéro 7. Il avait insisté pour être inhumé à Gagnac, choisissant lui-même dans le vieux cimetière ombragé par un if plus que centenaire, l’emplacement de sa sépulture. L’âge et la maladie ont eu raison de sa force. Il repose au milieu des siens.

    Cécile FONTANILLE et Robert LARUE


    2 commentaires
  • Jean Leymarie est pour moi un de ces poètes que la modestie naturelle et l’'amour des humains et de leurs œoeuvres a conduit à n’'écrire que comme un passeur du nom des artistes.
    Ce qui lui permit d'’échapper instinctivement aux pièges que tend l’'ego si puissant chez les créateurs. Ce qui fait que son nom ne soulève pas les passions des foules en s’'étalant à la une des médias mais génère une dévotion tendre chez les quelques heureux de l’'avoir rencontré sur les chemins de l’'admiration d’'un peintre ou d’'un poète.

    Ce paysan du Lot au sourire de sphinx compréhensif savait parler des peintres et des sculpteurs comme personne, les rendant aussi simples, familiers et nécessaires qu'’une poignée de main ou un morceau de pain. C’est parce qu'’il était poète et qu'’il les aimait que les créateurs partageaient avec lui leurs questions et leurs sentiments comme des femmes amoureuses se confient à leur meilleure amie.

    C’est parce qu'’il était modeste et madré paysan qu'’il pouvait se faire le messager entre Malraux et Picasso pour mener à bien la fameuse exposition, tel Hermès entre Apollon et Dionysos. Admirateur clairvoyant de l’'un et de l’'autre, il sût les charmer tous deux bien avant cet épisode, et tous deux savaient pouvoir compter sur lui pour parler d'’eux dans leur meilleure part.

    Il pouvait à la fois respecter et enrichir la part de savoir rigoureux nécessaire à toute contribution à l’'histoire de l’art et y faire souffler le vent de l’'esprit et de l’'émotion sans lesquels toute analyse n’'est qu’'une autopsie.
    Ce souffle lui venait de son commerce avec l’œ'oeuvre, de sa connaissance de l’'artiste lorsque celui-ci était vivant ; mais avait-il d’'abord connu l’œ'oeuvre ou son auteur ? Je crois que, profondément, les deux se confondaient dans son cœoeur, moteur de son intelligence. Même si, effectivement, un auteur n'’est pas systématiquement à l'’image, voire à la hauteur de son œoeuvre, aux yeux de l’'âme ou du coeœur ils se rejoignent enfin.
    Jean Leymarie avait ces yeux-là, perçant à jour les sombres voiles dont se masque souvent le coeœur des hommes et de leurs œoeuvres.
    Cette clairvoyance aimante ne retenait pas les obscures scories qui encombrent tout cœoeur humain. Et sa face chérubine était vrillée de ces yeux pénétrants (comme dans son portrait par Picasso) que son sourire charmeur adoucissait d’'un velours sombre et doré comme la palette de Rembrandt.

    Jean Leymarie aimait les artistes et leur a donné son chant pour l’'éternité des hommes de coeœur.

    Raphaël Loison

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  • Les artistes d'élection, conduits par la fatalité, porteurs du rameau d'or, restent des pélerins de l'éternel et les bergers de l'être, servants de la beauté ! Ils traversent leur temps et sa foule éphémère en se fixant sur les valeurs hors du temps.
    (...)

    Deux des fréquents détours qui nous écartent de l'art et de son foyer central restent la glose érudite et le piège biographique. Quels que soient l'éclat et la singularité de son destin, le peintre véritable aspire à se fondre dans la communauté de l'existence anonyme et ne se révèle en entier que dans la substance universelle de son oeuvre, à travers laquelle s'éclairent en retour quelques données orientatrices de sa formation. Par sa naissance insolite, un 29 février, et son anniversaire qui ne revient ainsi qu'une fois sur quatre, aux tournants bissextiles, Balthus a le sentiment d'échapper à la chronologie des adultes et de préserver indéfiniment son trésor essentiel, le temps sans dates et le monde absolu de l'enfance, où s'enracinent ses visions, que confirme encore le maintien de son prénom, comme désignation de peintre. Sy pour le philosophe et le savant d'époque classique comme Descartes, l'enfance est un état inférieur dont il aurait souhaité faire l'économie afin d'accéder plus vite à la maîtrise de la raison, pour le poète et pour l'artiste depuis le Romantisme, c'est-à-dire depuis la brisure de l'ère industrielle, l'enfance est au contraire la source privilégiée et le recours indispensable contre la mécanisation nouvelle.

    "Là où il y a des enfants, dit Novalis, là est l'âge d'or." Associée au mouvement des instincts, à la pureté du regard, l'enfance détient ce pouvoir transperçant de l'imagination que le poète anglais Woodsworth, à qui l'on doit les plus vives évocations des lieux et sensations primordiaux, appelle l'âme de la nature et par laquelle la réalité, ma réalité quotidienne et non pas fantastique, se dévoile elle-même dans sa force originelle et son ordre caché. Balthus assure et c'est sans doute son témoignage fondamental n'avoir jamais cessé de voir comme voyaient ses yeux d'enfant.

    Balthus, Skira 1978








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